L'Aréquipée Sauvage...

Publié le par Julien H

Premier article, fusion de celui de Marie et du mien, elle en italique.

 

Alors que notre séjour touchait à sa fin et que nous ne nous lassions pas de profiter de la merveilleuse Cuzco, le temps était hélas venu de suivre notre itinéraire, largement préparé par les soins de Marie.

La suite du chemin nous menait donc vers Arequipa, située au sud du Pérou et à une bonne dizaine d’heure de Cuzco.

Du moins nous le pensions…

 

Cuzco – Gare routière.

21h – Nous prenons place à bord du luxueux bus de nuit tout confort qui nous mènera en une dizaine d’heures à Arequipa, prochaine étape de notre voyage.

 

Sièges inclinables –presque lits – oreillers, couvertures, film, hôtesses en costume… La totale.

Epuisés par une journée de marche dans les splendides ruines de Pisac, nous nous endormons en quelques minutes, à peine le bus a-t-il démarré.

Dormir dans un bus, aussi luxueux et confortable soit-il, qui parcourt les routes de montagne péruviennes, n’est pas chose aisée. Aussi ne suis-je pas étonnée de me réveiller quelques heures plus tard. Minuit et demi ou 1h, tout est assez vague, embrumé par le sommeil.

 

Nous sommes arrêtés sur la route. Les vitres sont recouvertes de givre et de buée. Les minutes passent dans un demi sommeil. Une pause peut-être…

Mais les minutes passent encore et l’agitation monte autour de nous. La tension ambiante achève de me réveiller. Julien est déjà aux aguets, méfiant. Tout ça ne me plaît pas.

 

Le verdict tombe : nous sommes arrêtés par une grève, un barrage d’enseignants mécontents sur la seule route qui relie Cuzco à Arequipa. Aucune ville autour de nous. 48h minimum de blocage. Moins de zéro degré dehors. Nous sommes perdus au beau milieu de nulle part : entre un désert, un désert et un désert. A travers la buée et le gel on distingue le sable, les cailloux, deux pauvres arbustes secs et sordides, des montagnes à des dizaines de kilomètres de là. La route devant et derrière nous. La seule. Pas une seule maison, pas une seule lumière.

 

Nous avons en effet expérimenté en pleine nuit l’une de nos premières rencontres socialistes Péruviennes.

 

Entendez par là des professeurs qui font grèves…en bloquant les routes avec des rochers !

 

On n’est loin des Allègre Allègre on t’emme…. de ma jeunesse de lycéen c’est sûr !

 

Donc je vous dépeins le tableau :

 

1h15 du matin

Dans les -5° degré dehors (je vous rappelle que c’était l’hiver là-bas !).

Les vitres commençant à geler.

Et tout le monde se battant dans le bus pour savoir si il fallait revenir à Cuzco ou prendre le risque de rencontrer des pillards sur le chemin qui nous mènerait à un hypothétique bus, de l’autre côté de la ville qui nous faisait barrage.

 

Les voyageurs s’agitent, se révoltent. C’est impossible, ils travaillent le matin même à Arequipa, et ne peuvent pas faire marche arrière. Cela apparaît pourtant comme la seule solution selon le chauffeur. La tension monte. Jusqu’à cette proposition : un bus de la même compagnie faisant le trajet dans l’autre sens est bloqué de l’autre côté du barrage, il suffit de le rejoindre à pied … à 3km de là (du moins croyait-il). Il fait toujours moins de 0° et nos sacs pèsent plus de 15 kilos chacun. Il est 1h du matin.

 

Ni une ni deux nous partons Marie et moi avec nos sacs à dos lourds comme des vaches sur les épaules et tout un attirail de protection anti-froid peu convaincant à mon goût.

 

Nous voilà donc partis, emmitouflés dans nos vêtements les plus chauds (du moins nous semblait-il). Nous partons d’abord presque seuls, croyant que les autres rebrousseraient chemin, nous ne nous attardons pas.

 

Une lente procession de péruviens, de touristes et de marchands commence alors son chemin vers un hypothétique lendemain, alors que seule la lune éclaire le paysage complètement désertique où nous avons atterri.

 

Tout le monde dans la même galère, des bébés dans les bras, des marchandises sur le dos, les gosses avançant à moitié endormis, tout le monde fraie son chemin en restant groupé, de peur de se faire attaquer par des voleurs.

 

Pas de musique, si ce n’est le vent et les aboiements de chiens errants qui se font toujours plus curieux et toujours plus proches de nous.

 

Les dizaines de minutes deviennent des heures et les bornes s’accumulent.

 

Quelques dizaines de personnes seulement, éparpillées, nous entourent sur cette route qui traverse un désert, un vrai. Des chiens errants hurlent à la mort, au loin – mais de moins en moins loin… Les quelques minuscules buissons me font penser à un film d’horreur. Heureusement, la pleine lune est là : aucun éclairage sur cette route qui serait passée d’inquiétante à terrifiante sans cet heureux hasard de calendrier.

1 heure, 2 heures, 3 heures. Je ne sais plus. La route semble interminable. Toujours identique, comme si on tournait en rond. Pas un bus, pas une voiture, pas une maison. Comme une étrange impression d’être seuls au monde malgré les dizaines et bientôt les centaines de compagnons d’infortune.  Le froid a saisi mes jambes. Mes cuisses ne sont plus que deux énormes crampes de froid, battues par les sangles de mes sacs. Il ne faut pas s’arrêter. Julien ne dit rien. Je le sens inquiet et ça me fait encore plus peur. Lui ! Inquiet ? C’est qu’il y a des raisons d’avoir peur alors.

 

Les quelques kilomètres qui nous séparaient se transforment en 5 bornes d’une expérience plus psychologique que physique.

Mais il faut tenir bon.

Encore.

Alors j’invente, je temporise, en disant à Marie que je vois au loin des lumières, des bus peut-être, mais qui s’avèrent toujours être des lumières éparses, perdues, de quelques taxis opportunistes qui profitent de la situation sans pour autant s’arrêter à nos signaux. (perso je n’ai pas vu de taxi sur cette route…)

 

J’ai du mal à le suivre. Mon sac s’alourdit à chaque enjambée. Il doit être 3h ou 4h du matin et toujours pas de bus à l’horizon. Cela fait plus de 3km maintenant. Le découragement et la peur se font plus présents. C’est irréel. C’est un cauchemar. Ça doit être un cauchemar. Ça ne peut pas être vrai…

Ne pas paniquer. Non, Marie, non, ce n’est pas ici que tu dois mourir, tu le sais. Il y aura forcément une solution, une maison de paysan, un taxi qui aurait réussi à passer. Ne pas s’arrêter.

Le paysage défile, toujours le même. Absolument identique mètre après mètre. Le même paysage de désolation sur des kilomètres. J’ai l’impression d’être dans un mauvais film. Ou un exode. Ces centaines de péruviens sous leurs sacs immenses, leurs enfants courant derrière, ça ressemble à la fuite d’un peuple après une guerre.

 

Pas tout à fait réveillée et abrutie par le froid, cette nuit revêt un caractère tellement irréel, indescriptible. Seuls dans nos pensées pendant des heures, face à nous-mêmes : parler consomme trop d’énergie. Le froid épuise.

 

Julien ne pourra pas le raconter : il ne l’a pas vue… Mais au beau milieu de ce périple, une splendide étoile filante a tranché le ciel à gauche de la route. Une seconde seulement et puis plus rien. Surréaliste !

 

Après de nombreux faux espoirs ( « et là ? C’est une lumière non ? des voitures… - Non, juste un carrefour éclairé – mais si là bas… »), nous approchons de l’autre côté du barrage.

La rage au ventre, une envie bestiale de leur sauter à la gorge, les larmes aux yeux, nous passons, profil bas, devant les grévistes et leurs feux de camps. Responsables de ces quelques heures.

Les bus sont juste là derrière. Mais pas le nôtre.

 

Au moment où j’ai l’impression que la Miss va me claquer dans les mains, on aperçoit finalement le bus qui lui donne l’énergie nécessaire pour accélérer.

 

Mais nous ne sommes pas les seuls.

Le groupe s’affole.

Chacun veut une place.

Mais seuls nous et ceux qui ont pris la même compagnie peuvent normalement monter.

Aucun des autres bus n’a envoyé de correspondance pour récupérer ces pèlerins qui finiront leur nuit dans le froid et l’attente.

 

Plus loin, continuer, il doit être plus loin. La foule s’agite, se bouscule, court. Je n’aime pas ça. Mais le voilà, c’est lui. Notre bus. Il est assailli, débordé par la foule. Tout  le monde veut rentrer et pendant les quelques mètres de course le doute m’envahit : va-t-il attendre les passagers du bus de la même compagnie ou fera-t-il rentrer les premiers arrivés ? Aucune certitude, aucune garantie. Courir. Je sens le stress de Julien augmenter. Deux mètres encore. Le bus a démarré. Il s’en va….

 

La tension elle aussi s’accroît, ça se bat, et les manifestants commencent à lancer des cailloux au bus qui se barre juste sous notre nez.

 

Il nous faut pourtant continuer.

 

Ne pas s’arrêter.

 

J’ai senti mon estomac se décrocher. Une boule dans la gorge, les larmes aux yeux, j’ai vraiment très peur maintenant. Continue, continue. Julien marche de plus en plus vite. J’ai tellement de mal à suivre  ses grandes enjambées. Les crampes ne passent pas.

Sur les côtés, des voyageurs s’installent à l’abri dans des sacs de couchage. Non. Les nôtres ne sont pas suffisants à cette température. Marcher. Ne pas s’arrêter.

 

Même si Marie me demande de s’arrêter, il ne faut pas, cela pourrait mettre un terme à nos efforts et la voir impossible de repartir, saisie de crampes ou pire, en hypothermie.

 

Quitte à lui paraître inhumain, on continue.

 

Et ce n’est que deux kilomètres plus loin que nous rejoignons le bus, quasi mort de froid et de fatigue.

 

1h plus tard ? – Le temps prend des dimensions bien étranges cette nuit – le bus est là à quelques dizaines de mètres, sur le bord de la route. Il attendait bien « ses » passagers. Ceux qui avaient les billets de la même compagnie, nous.

Nos sacs sont dans les soutes, à quelques mètres seulement de la porte, une marche, deux marches, trois marches. Mon dieu nous y sommes. Peu importe s’il ne repart pas tout de suite. Nous sommes assis au chaud. Sous une montagne de pulls, ponchos, couvertures, tout ce qui nous passe sous la main, et malgré le chauffage à fond, nous mettons plusieurs heures pour nous réchauffer.

 

Il est 4H30-5h du matin.

Nous peinons à nous réchauffer.

Et nous n’arriverons que tard ce jour-là, à Arequipa.

 

10h ou 11h. Le désert est assez beau en fait, vu de jour et au chaud.  Etait-ce un cauchemar ?

 

Advienne que pourra.

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L
hey,t'es pas au bout de tes surprises... J'm bien votre aventure scénarisée, la nuit et le froid exacerbent les sens et l'imagination. Très mental comme aventure, quand on ne sait pas si le calvaire aura une fin ou non. ça fait toujours autant plaisir de te lire
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J
La suite sous peu, dès que j'ai fini mon mémoire/thèse, truc...:)
A
Impressionnant..J'aime bien le parallèle avec "Allègre, Allègre on t'emm.." quand même, c'est particulièrement savoureux là au milieu...Encore un peu et tu vas rétamer Cthulhu, Godfather !
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J
Cthulhu rules ma chère!
D
Ah ben ça pour une traversée du desert ... en tout cas mm si sur le moment c'est difficile je ne pense pas que vous regrettiez ce periple .... t'en aura fait et vu des choses en Colombie ... on va devoir t'appeler El Luchador ... el hombre que nunca renuncia !!!
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J
J'en aurais vu et faites des choses au PEROU!Ah lalalala, j'en connais une niveau attention ça vaut le 0,5/10, je te jure.Je suis sûr qu'en compréhension de lecture t'étais pas folichon...En même ça se comprend vu la frangine...:)Allez avant de me faire tuez par les deux.BisouteJH